Petits instants de dégoût de soi-même
Il y a quelques jours, je sors faire un tour en ville. Alors que j'attends à un passage piéton, une dame s'approche de moi, me demande quelque chose.
"Pardon ? demande l'autiste citadin que je suis, les oreilles égarées dans les méandres de son lecteur mp3.
- Vous n'auriez pas une petite pièce ?
- Heu non, je... désolé, j'ai pas de monnaie."
C'est vert, je traverse, d'un pas assez rapide pour distancer la gêneuse. Aussitôt, la honte m'envahit. Putain connard, t'en avais des pièces, merde, c'est pas lui filer 50 centimes qui te mettra sur la paille. Combien d'euros tu vas dépenser la prochaine fois pour des conneries de CDs ? Avec ta pièce et quelques autres, elle aurait pu manger ce soir. Pourquoi faut-il toujours avoir ce sentiment de méfiance, cette peur presque, du pauvre type qui veut juste casser la croûte ?
Les gens bien pensants disent "Oh oui mais s'il fallait donner à chaque fois, on s'en sort pas." Bien sûr, quelle excellente excuse, tu y réchauffes ton âme honteuse de la belle couverture de la raison et du bon sens. C'est vrai, entre donner une pièce ou trois, il y a un plan d'épargne logement qui y passe.
En même temps, ma honte me rassure d'une certaine façon : je ne suis pas tout à fait comme ces gros cons qui passent devant les mendiants qui leur parlent sans un regard, sans un mot ; comme des pierres sur leur chemin, ils ne prennent la peine de considérer leur existence que pour s'en détourner quand ils entravent leur route.
Bien, cela dit, belle consolation, c'est certainement ton excuse bafouillée qui va lui remplir le ventre.
Le lendemain, à la gare, alors que je prends mon billet à une borne automatique, un autre clochard me demande une pièce. Sans doute le contrecoup de la veille, et ayant mon porte-monnaie en main, je lui file une pièce, il me remercie, me dit que la vie est pas facile, me souhaite une bonne journée. Je lui en souhaite autant, tout en sachant que mon voeu sera sans doute moins exaucé que le sien.
Voilà, tu vois, c'était pas dur. Une certaine satisfaction m'envahit alors, je suis content d'avoir donné. Et puis j'ai honte à nouveau. Je ne suis pas tant content d'avoir aidé ce pauvre type que d'avoir fait une bonne action. J'ai soulagé ma conscience, et c'est à avant tout cela qui me satisfait. Quel triste sentiment, naturel et en même temps si significatif de ce que nous sommes. Si naturellement pathétique.
Un philosophe, ou un écrivain, peut-être bien Rousseau, raconte cette histoire (ou quelque chose qui y ressemble, je m'en souviens pas en détails). Son chemin croise tous les jours celui d'un mendiant. Le premier jour, il donne une pièce et est content de son action. Le second, il donne encore et éprouve aussi une satisfaction, mais moindre. Le troisième il donne encore, mais il ne ressent plus rien. Le quatrième, il ne donne pas et éprouve une certaine honte. Le cinquième, il change son itinéraire pour ne pas croiser le mendiant.
"Pardon Monsieur...
- Heu, oui ?
- Vous n'avez pas une pièce s'il vous plaît ?
- Heu désolé, je viens de donner au monsieur là et je dois y aller, mon train va partir..."
Gros con.
"Pardon ? demande l'autiste citadin que je suis, les oreilles égarées dans les méandres de son lecteur mp3.
- Vous n'auriez pas une petite pièce ?
- Heu non, je... désolé, j'ai pas de monnaie."
C'est vert, je traverse, d'un pas assez rapide pour distancer la gêneuse. Aussitôt, la honte m'envahit. Putain connard, t'en avais des pièces, merde, c'est pas lui filer 50 centimes qui te mettra sur la paille. Combien d'euros tu vas dépenser la prochaine fois pour des conneries de CDs ? Avec ta pièce et quelques autres, elle aurait pu manger ce soir. Pourquoi faut-il toujours avoir ce sentiment de méfiance, cette peur presque, du pauvre type qui veut juste casser la croûte ?
Les gens bien pensants disent "Oh oui mais s'il fallait donner à chaque fois, on s'en sort pas." Bien sûr, quelle excellente excuse, tu y réchauffes ton âme honteuse de la belle couverture de la raison et du bon sens. C'est vrai, entre donner une pièce ou trois, il y a un plan d'épargne logement qui y passe.
En même temps, ma honte me rassure d'une certaine façon : je ne suis pas tout à fait comme ces gros cons qui passent devant les mendiants qui leur parlent sans un regard, sans un mot ; comme des pierres sur leur chemin, ils ne prennent la peine de considérer leur existence que pour s'en détourner quand ils entravent leur route.
Bien, cela dit, belle consolation, c'est certainement ton excuse bafouillée qui va lui remplir le ventre.
Le lendemain, à la gare, alors que je prends mon billet à une borne automatique, un autre clochard me demande une pièce. Sans doute le contrecoup de la veille, et ayant mon porte-monnaie en main, je lui file une pièce, il me remercie, me dit que la vie est pas facile, me souhaite une bonne journée. Je lui en souhaite autant, tout en sachant que mon voeu sera sans doute moins exaucé que le sien.
Voilà, tu vois, c'était pas dur. Une certaine satisfaction m'envahit alors, je suis content d'avoir donné. Et puis j'ai honte à nouveau. Je ne suis pas tant content d'avoir aidé ce pauvre type que d'avoir fait une bonne action. J'ai soulagé ma conscience, et c'est à avant tout cela qui me satisfait. Quel triste sentiment, naturel et en même temps si significatif de ce que nous sommes. Si naturellement pathétique.
Un philosophe, ou un écrivain, peut-être bien Rousseau, raconte cette histoire (ou quelque chose qui y ressemble, je m'en souviens pas en détails). Son chemin croise tous les jours celui d'un mendiant. Le premier jour, il donne une pièce et est content de son action. Le second, il donne encore et éprouve aussi une satisfaction, mais moindre. Le troisième il donne encore, mais il ne ressent plus rien. Le quatrième, il ne donne pas et éprouve une certaine honte. Le cinquième, il change son itinéraire pour ne pas croiser le mendiant.
"Pardon Monsieur...
- Heu, oui ?
- Vous n'avez pas une pièce s'il vous plaît ?
- Heu désolé, je viens de donner au monsieur là et je dois y aller, mon train va partir..."
Gros con.