Échos de la France qui se lève tôt
Cette note sera décousue ou ne sera pas. Vous voilà prévenus.
Comme tout bon étudiant en quête de garniture de compte de banque, j'ai effectué une migration estivale en direction d'une entreprise afin d'y gagner quelques gages au bon goût de SMIC.
Cet été, je bosse dans une boîte sympa, dans un petit bled pas loin de chez moi. Un travail pas palpitant, répétitif, mais dans des conditions agréables. Des collègues sympas aussi, dans l'ensemble. Également beaucoup de ces gens qui sont partout, jamais les mêmes, toujours les mêmes, de ces gens qui ont une petite vie ronde qui tourne sur elle-même, et dont ils vous parlent beaucoup, beaucoup, beaucoup... Beaucoup trop. Surtout qu'il s'y passe toujours la même chose, me raconte pas le film, je l'ai déjà vu trente fois.
J'aime quand même mieux ces gens qui vivent dans les petits bleds, ils ont l'avantage de la spontanéité, d'une certaine humilité naturelle, ils ne gagnent certainement pas des fortunes, ils n'ont certainement pas une vie géniale, par conséquent ils ne vont pas se vanter de leurs possessions, de leur talents, de leur séance de manucure. Ça, ça sera pour le mois d'août, quand je migrerai à nouveau mais pour un job citadin cette fois, dans une boîte où, pistonné, j'ai déjà officié l'année passée. Il sera bien temps d'en parler le moment venu.
Ma chef est très sympa, les autres saisonniers aussi. Ça déconne pas mal, ça papote en travaillant, ça se plaint de l'été qui s'annonce pourri quand il pleut, ça se plaint de la chaleur quand il fait beau, classique. On pourrait écrire un livre de tout ce qui se dit sur la météo. Ou tout résumer à la phrase : "Je n'ai rien à dire, alors je meuble en disant des choses inutiles." Sans la météo, un silence terrifiant régnerait sur Terre.
J'ai remarqué des notations rigolotes sur des boîtes de Superdots, des rouleaux avec des points de colle que j'utilise. Faudrait que je chope une boîte vide pour montrer ça.

A la pause déjeuner, on parle beaucoup de sa famille. Car oui, il y a beaucoup de femmes dans cette boîte, et les femmes plates (intellectuellement parlant) aiment à parler de leur mari, de leurs gosses, de leurs tâches ménagères, de même que les hommes plats aiment à parler voitures, football, barbecue. Quelques expressions me terrifient : "Mon homme, il fait ci, mon homme, il aime pas ça." ou encore, parlants de leurs gosses, "les miens ils sont au primaire, mon dernier il rentre au collège." Mon dieu, c'est affreux, comment peut-on s'approprier des êtres humains comme ça ? Ont-ils derrière l'oreille un tatouage "Propriété de Germaine Trucmuche" ?
Fréquemment aussi, des déchirures orthographiques, des "il faut qu'il voye un médecin", "ils croivent qu'ils savent mieux que nous", ou encore quelques "il faut que je fais cette commande avant".
Une discussion saisie en salle de pause, alors que je parcours le journal sans vraiment le lire. On parle astrologie, je dresse l'oreille, m'attendant à entendre quelques pépites. Voyant les comères assises à la table en face, parmi les personnes les plus inintéressantes de la boîte, je me dis qu'on va avoir droit à de belles énormités, bingo. Vous êtes Gémeaux ? Ça vous concerne. Vous n'êtes pas Gémeaux ? Ca vous concerne aussi. Car "moi, je peux pas m'entendre avec les Gémeaux. Tu vois Machin, et bah je m'entendais pas avec lui, et quand j'ai su qu'il était Gémeaux j'me suis dit tiens, je l'aurais parié. C'est pas que je dis que je peux pas m'entendre avec tous les Gémeaux, mais je tire juste les conclusions." Et les autres d'acquiescer. Je soupire intérieurement.
J'ai hésité à intervenir pour dire que justement, j'étais Gémeaux, mais en fait ça n'aurait fait que confirmer sa théorie à la con, puisque je pressens qu'elle ne m'apprécie pas spécialement, sans raison précise, et moi en tout cas, j'ai plutôt du mal à la sentir, pour ce genre de conneries notamment.
Et puis de toutes façons, je suis Bélier. Et j'en ai rien à foutre.
Astrologie : gémeaux à ma tête
J'ai changé de poste aujourd'hui, je discute avec ma nouvelle voisine de table, enfin je réponds surtout à ses répliques, avec plus ou moins de laconisme. Elle me parle de son voyage (organisé, forcément) en Égypte, et un autre au Maroc. Elle aime bien ça, voyager. D'ailleurs je crois qu'elle ramène un T-shirt de chaque voyage, l'autre jour c'était le bleu pétant estampillé Guadeloupe, aujourd'hui un seyant vert-jaune fluo est à l'honneur, l'inscription EGYPTE y domine un Sphinx hâtivement dessiné.
Elle me surprend en disant des choses très vraies sur tous ces Français qui viennent s'installer au Maroc parce que la vie est bien moins chère, et achètent, font construire des palaces, exposent à la vue de tous leur fric. Elle critique le tourisme-roi qui fait pulluler les hôtels sur les plages et qui peut faire mettre en prison un Marocain sur simple déclaration d'un touriste. "Un jour, ça fera comme en Algérie, et les Français, dehors.", conclue t-elle. Peut-être pas idiot, en effet.
Elle me parle aussi de son premier fils. Il y avait deux métiers qu'elle ne voulait pas qu'il fasse, c'était militaire et... maçon, parce "militaire, tu vois jamais ta famille, et puis c'est dangereux", et "maçon, parce qu'il fait froid sur les chantiers". Le fiston est devenu parachutiste dans l'armée, est actuellement en poste en Afghanistan, et quand il rentre, il continue sa formation de maçonnerie. Grand succès de la volonté maternelle, donc. Elle m'apprend que chaque saut effectué rapproche l'âge où il peut partir en retraite : "deux ou trois sauts et il gagne un an". Je doute un peu que ça soit si rapide, mais je ne relève pas.
Les trois semaines à venir, je bosse en 2/8 (de 5h à 13h une semaine, de 13h à 21h la semaine suivante). Ça devrait me laisser quelques bonnes heures presque tout seul dans la boîte. Ça sera sans doute un peu crevant, un peu chiant. De grands moments de solitude à venir quand les ordis et/ou la machine sur lesquels je vais bosser planteront lamentablement, comme ça arrive en moyenne 5 ou 6 fois par jour, et qu'il sera 18h, que tout le monde sera rentré (et en particulier les quelques rares personnes sachant comment dépanner) et que j'aurai encore trois heures de boulot à faire.
Je chantonne souvent des trucs, j'essaie de me rappeler des paroles de certains morceaux, ça occupe l'esprit quand les mains s'activent à des tâches qui deviennent vite des automatismes. Le temps passe assez vite, ça fait déjà presque un mois que je suis dans la boîte. Effrayant d'avoir ainsi un aperçu de la rapidité à laquelle doit passer la vie de ceux qui travaillent ici depuis des années, à se fondre dans ces journées rodées, se laisser glisser en pente douce vers le week-end, pour rebondir et mieux glisser à nouveau la semaine suivante.
Je rentre en vélo parfois. Je lève les yeux vers le ciel. Il fait quand même bon être dehors.

Comme tout bon étudiant en quête de garniture de compte de banque, j'ai effectué une migration estivale en direction d'une entreprise afin d'y gagner quelques gages au bon goût de SMIC.
Cet été, je bosse dans une boîte sympa, dans un petit bled pas loin de chez moi. Un travail pas palpitant, répétitif, mais dans des conditions agréables. Des collègues sympas aussi, dans l'ensemble. Également beaucoup de ces gens qui sont partout, jamais les mêmes, toujours les mêmes, de ces gens qui ont une petite vie ronde qui tourne sur elle-même, et dont ils vous parlent beaucoup, beaucoup, beaucoup... Beaucoup trop. Surtout qu'il s'y passe toujours la même chose, me raconte pas le film, je l'ai déjà vu trente fois.
J'aime quand même mieux ces gens qui vivent dans les petits bleds, ils ont l'avantage de la spontanéité, d'une certaine humilité naturelle, ils ne gagnent certainement pas des fortunes, ils n'ont certainement pas une vie géniale, par conséquent ils ne vont pas se vanter de leurs possessions, de leur talents, de leur séance de manucure. Ça, ça sera pour le mois d'août, quand je migrerai à nouveau mais pour un job citadin cette fois, dans une boîte où, pistonné, j'ai déjà officié l'année passée. Il sera bien temps d'en parler le moment venu.
Ma chef est très sympa, les autres saisonniers aussi. Ça déconne pas mal, ça papote en travaillant, ça se plaint de l'été qui s'annonce pourri quand il pleut, ça se plaint de la chaleur quand il fait beau, classique. On pourrait écrire un livre de tout ce qui se dit sur la météo. Ou tout résumer à la phrase : "Je n'ai rien à dire, alors je meuble en disant des choses inutiles." Sans la météo, un silence terrifiant régnerait sur Terre.
J'ai remarqué des notations rigolotes sur des boîtes de Superdots, des rouleaux avec des points de colle que j'utilise. Faudrait que je chope une boîte vide pour montrer ça.

A la pause déjeuner, on parle beaucoup de sa famille. Car oui, il y a beaucoup de femmes dans cette boîte, et les femmes plates (intellectuellement parlant) aiment à parler de leur mari, de leurs gosses, de leurs tâches ménagères, de même que les hommes plats aiment à parler voitures, football, barbecue. Quelques expressions me terrifient : "Mon homme, il fait ci, mon homme, il aime pas ça." ou encore, parlants de leurs gosses, "les miens ils sont au primaire, mon dernier il rentre au collège." Mon dieu, c'est affreux, comment peut-on s'approprier des êtres humains comme ça ? Ont-ils derrière l'oreille un tatouage "Propriété de Germaine Trucmuche" ?
Fréquemment aussi, des déchirures orthographiques, des "il faut qu'il voye un médecin", "ils croivent qu'ils savent mieux que nous", ou encore quelques "il faut que je fais cette commande avant".
Une discussion saisie en salle de pause, alors que je parcours le journal sans vraiment le lire. On parle astrologie, je dresse l'oreille, m'attendant à entendre quelques pépites. Voyant les comères assises à la table en face, parmi les personnes les plus inintéressantes de la boîte, je me dis qu'on va avoir droit à de belles énormités, bingo. Vous êtes Gémeaux ? Ça vous concerne. Vous n'êtes pas Gémeaux ? Ca vous concerne aussi. Car "moi, je peux pas m'entendre avec les Gémeaux. Tu vois Machin, et bah je m'entendais pas avec lui, et quand j'ai su qu'il était Gémeaux j'me suis dit tiens, je l'aurais parié. C'est pas que je dis que je peux pas m'entendre avec tous les Gémeaux, mais je tire juste les conclusions." Et les autres d'acquiescer. Je soupire intérieurement.
J'ai hésité à intervenir pour dire que justement, j'étais Gémeaux, mais en fait ça n'aurait fait que confirmer sa théorie à la con, puisque je pressens qu'elle ne m'apprécie pas spécialement, sans raison précise, et moi en tout cas, j'ai plutôt du mal à la sentir, pour ce genre de conneries notamment.
Et puis de toutes façons, je suis Bélier. Et j'en ai rien à foutre.

J'ai changé de poste aujourd'hui, je discute avec ma nouvelle voisine de table, enfin je réponds surtout à ses répliques, avec plus ou moins de laconisme. Elle me parle de son voyage (organisé, forcément) en Égypte, et un autre au Maroc. Elle aime bien ça, voyager. D'ailleurs je crois qu'elle ramène un T-shirt de chaque voyage, l'autre jour c'était le bleu pétant estampillé Guadeloupe, aujourd'hui un seyant vert-jaune fluo est à l'honneur, l'inscription EGYPTE y domine un Sphinx hâtivement dessiné.
Elle me surprend en disant des choses très vraies sur tous ces Français qui viennent s'installer au Maroc parce que la vie est bien moins chère, et achètent, font construire des palaces, exposent à la vue de tous leur fric. Elle critique le tourisme-roi qui fait pulluler les hôtels sur les plages et qui peut faire mettre en prison un Marocain sur simple déclaration d'un touriste. "Un jour, ça fera comme en Algérie, et les Français, dehors.", conclue t-elle. Peut-être pas idiot, en effet.
Elle me parle aussi de son premier fils. Il y avait deux métiers qu'elle ne voulait pas qu'il fasse, c'était militaire et... maçon, parce "militaire, tu vois jamais ta famille, et puis c'est dangereux", et "maçon, parce qu'il fait froid sur les chantiers". Le fiston est devenu parachutiste dans l'armée, est actuellement en poste en Afghanistan, et quand il rentre, il continue sa formation de maçonnerie. Grand succès de la volonté maternelle, donc. Elle m'apprend que chaque saut effectué rapproche l'âge où il peut partir en retraite : "deux ou trois sauts et il gagne un an". Je doute un peu que ça soit si rapide, mais je ne relève pas.
Les trois semaines à venir, je bosse en 2/8 (de 5h à 13h une semaine, de 13h à 21h la semaine suivante). Ça devrait me laisser quelques bonnes heures presque tout seul dans la boîte. Ça sera sans doute un peu crevant, un peu chiant. De grands moments de solitude à venir quand les ordis et/ou la machine sur lesquels je vais bosser planteront lamentablement, comme ça arrive en moyenne 5 ou 6 fois par jour, et qu'il sera 18h, que tout le monde sera rentré (et en particulier les quelques rares personnes sachant comment dépanner) et que j'aurai encore trois heures de boulot à faire.
Je chantonne souvent des trucs, j'essaie de me rappeler des paroles de certains morceaux, ça occupe l'esprit quand les mains s'activent à des tâches qui deviennent vite des automatismes. Le temps passe assez vite, ça fait déjà presque un mois que je suis dans la boîte. Effrayant d'avoir ainsi un aperçu de la rapidité à laquelle doit passer la vie de ceux qui travaillent ici depuis des années, à se fondre dans ces journées rodées, se laisser glisser en pente douce vers le week-end, pour rebondir et mieux glisser à nouveau la semaine suivante.
Je rentre en vélo parfois. Je lève les yeux vers le ciel. Il fait quand même bon être dehors.
